De Générations en Générations – Chapitre 15

Chapitre 15

 

 

Après plus d’une heure de route, Moïsette commençait à se détendre, mais ses poings restaient crispés et tout son corps était des plus tendu. Elle se sentait observé par la vieille dame assise en face d’elle, mais elle ne désirait pas parler avec eux. Elle ferme les yeux pour se reposer un peu, mais cela ne fit que l’effet inverse, car l’imagination qui est très présente en elle se mit en marche.

            « Qu’ont-ils fait de si terrible pour que je sois pourchassée par cette femme qui dit être ma sœur. Mon instinct de survie me dit de ne pas chercher à savoir. Que les réponses que j’obtiendrais me feraient plus de mal que de bien. Cependant cette dernière a réussi à me faire fuir les seules personnes, qui me faisaient sentir comme si j’étais une personne entière de leur famille. »

Une larme coule alors sur sa joue et les paroles de la vieille dame la firent sursauter.

            — Mademoiselle… Excusez-moi de vous déranger, mais je vous observe depuis un moment et je me demande pourquoi une si jolie demoiselle est aussi malheureuse… Je me mêle probablement de ce qui ne me regarde pas, mais je suis habituer d’aider les gens en détresse et c’est ce que je ressens en vous…

Moïsette ouvre les yeux et regarde la dame. Elle l’observe, comme si elle venait de la voir pour la première fois, puis après une trentaine de seconde, lui répond.

            — Je n’ai pas l’habitude de parler de moi à des inconnus, mais je ne sais pas pourquoi vous me semblez de bonne personne, vous… et votre époux, je crois.

            — Oh ! Désolée, vraiment un manque de courtoisie. Nous sommes bien des époux et nous sommes Monsieur et Madame Savard. À mon tour maintenant de vous  demander votre nom, pourrions-nous le connaitre ?

            — Certainement, mais je ne vous direz que mon prénom… car de toute façon, comme je viens d’apprendre le reste n’est que pure mensonge. Je m’appelle Moïsette … Et pour être vraiment franche avec vous, je ne peux vous dire mon nom de famille, car je ne le connais pas, enfin je pensais le connaitre, mais je viens d’apprendre que c’était un nom d’emprunt… Puisque vous voulez savoir pourquoi je paraissais si malheureuse et bien je vais vous le dire. Ce soir en quelques instants ma vie vient de basculer encore vers le néant. Hier, j’avais une famille et aujourd’hui et à jamais je dois m’en éloigner pour ne pas qu’ils aient des problèmes à cause de moi. Je suis seule au monde et je n’ai que ces quelques sous pour ma survie. Imaginez-vous maintenant, comment je me sens ? raconte-t-elle en sanglotant, baissant la tête pour que le vieux couple ne la voit pas pleurer.

Cependant ceux-ci ne sont pas dupes. Sans un mot, monsieur et madame Savard se lève et se dirigent vers le wagon restaurant.

Moïsette, en voyant l’effet de ses paroles sur ces deux interlocuteurs ne peut que penser :

            « Oh! Je vais de l’effet avec mes propos. J’ai fait fuir le couple dans un temps record. Bon, je vais essayer une nouvelle fois de me reposer. »

Effectivement elle réussit, car c’est la voix de Madame Savard qui la réveilla.

            — Mademoiselle… Mademoiselle, je m’excuse encore une fois de vous déranger, mais nous arrivons bientôt à destination et nous avons quelque chose à vous proposer.

Moïsette ouvre les yeux, surprise et répond.

            — Mais… mais combien de temps ais-je dormis ? On ne peut pas être presque rendu. Je n’ai pas pu sombrer dans un sommeil aussi long et profond.

                — Je vous assure que oui. Moi et mon mari… avons attendu le plus longtemps possible pour vous réveiller, depuis que nous sommes revenus du restaurant, où nous avons discuté de vous. Comme vous l’avez entendu à votre réveil, nous avons une proposition à vous faire pour vous enlever un peu de tracas.

            — Oh ! Je suis surprise, je pensais justement vous avoir fait fuir, avec mes propos. Hum… je vous écoute.

            — Oh que non. Nous en avons vue bien d’autres, mais voici pourquoi nous sommes partis aussi rapidement. Je ne prends jamais de décision sans en avoir parlé à mon époux. Voilà, je ne vous fais pas plus attendre : nous sommes, comme vous l’avez remarqué, un vieux couple et nous allons, de plus en plus souvent, quitter notre demeure pour aller voir notre fille, notre seule enfant, qui habite depuis peu au Québec. Nous sommes aussi bien vieux pour faire certaines tâches dans notre grande maison. Ce que nous vous proposons est en rapport avec ce que je viens de vous raconter. Nous aimerions que vous soyez cette aide précieuse. Bien-sûr nous vous hébergerons et nous vous dédommagerons pour vos services. C’est un emploi rémunéré que nous vous offrons…

Moïsette ne la laisse pas finir. C’était trop beau. Un merveilleux cadeau du ciel qu’elle ne le méritait pas.

            — Mais… Mais Madame Savard, vous ne me connaissez même pas. Je ne veux pas être un poids pour personne…

Cette fois, c’est la vieille dame qui la coupe.

            — Chut… Taisez-vous et laissez-moi finir. Je ne vous fais pas un cadeau, vous êtes une bénédiction pour nous. Lorsque vous nous avez expliqué votre problème sans nous connaitre, nous avons compris que vous étiez la personne qu’il nous fallait. Ne vous inquiétez pas, vous gagnerez votre salaire, car nous avons une bien grande maison et le ménage prendra beaucoup de votre temps et les autres tâches aussi. Et puis, nous étions si inquiets de devoir aussi souvent laisser notre maison sans âmes qui y vivent. Si vous acceptez notre offre nous partirons l’esprit tranquille. Alors, vous voyez que nous ne le faisons pas seulement par bonté d’âme. C’est un réel besoin que nous avons et nous savons que c’est une personne comme vous qu’il nous faut, mademoiselle Moïsette. Alors que dites-moi, acceptez-vous notre offre ?

            — Eh bien, votre proposition est très alléchante, réplique la jeune femme en regardant le couple. Mais votre êtes la seule, madame, à avoir proposé ce travail. Je voudrais être certaine que monsieur aussi est bien d’accord.

Il la regarde un instant avant de lui répondre.

            — Je lui suis aussi. Vous vous apercevrez, au fil du temps, que je ne suis pas le plus loquace de la famille… Je crois même que vous l’avez compris. Et ne vous inquiétez pas, si je ne suis pas en accord avec ma femme, je ne me gêne pas pour lui dire, termine-il, en les regardants tours à tours en souriant.

            — Bien, je vous rassure, je comprends très bien ce que vous me dites. Et je vous remercie pour votre l’offre que j’accepte avec grand plaisir. Je ne décevrai pas la confiance que vous me faites. Vous me sauvez d’une grande déprime et je vous le revaudrai un jour, répond Moïsette, en souriant pour la première fois.

            — Bien, voilà ce que je veux voir sur un si beau visage. Le signal de l’arrivée vient de sonner. Nous allons aller à la maison, tous ensembles. Bienvenue dans notre famille Mademoiselle Moïsette. Nous allons tout faire pour que vous vous y sentiez bien, réplique madame Savard.

            — Oh ! Merci… Je peux vous confirmer que ma nouvelle vie commence bien. Vous êtes mon cadeau du ciel. Vous êtes mes anges gardiens.

            — Hi… Hi… Vous verrez que nos auréoles quelques fois se transforment en cornes, répond Madame Savard en lui prenant le bras tout en se dirigeant vers la sortie.