De Générations en Générations – Chapitre 2

Chapitre 2

 

 

Judith, qui venait de mettre son enfant dans le petit berceau, qu’elle avait utilisé pour tous ces enfants, entend ainsi le claquement de porte.

            — Enfin seule et en paix, dit-elle en emmitouflant la petite.

Elle s’assoit sur son lit, ouvre un tiroir et sort une petite boite. C’est son coffre au trésor qu’elle regarde seulement lorsqu’elle est certaine d’être seule. Elle ouvre et voit son petit carnet, tout fripé, qui comme d’habitude fit ressurgir bien de lourds souvenirs. Cependant, ce triste début de vie, elle aurait voulu le faire disparaitre de sa tête, mais c’est impossible. Après toutes ces années, elle imagine les scènes qui l’on meurtrie aussi clairement que lorsqu’elles son sont produites. Elle ouvre, la première page et une larme coule sur ses joues. Elle se rappelle ce jour là… le jour où son calvaire a commencé.

 

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            — As-tu vu Frank, regarde… regarde ce gribouillage. Je n’y comprends rien et la maitresse non plus. Ça fait des semaines que tous les autres savent l’alphabet et elle… Non, je ne veux pas d’une enfant anormale, dit Francine à son époux.

La petite, assise en haut de l’escalier, entend son père répondre à sa mère :

            — Bien! Que veux-tu qu’on en fasse ? Nous ne pouvons décemment pas l’abandonnée. Nous si nous la gardions à la maison…. Elle fera le ménage et s’occupera des autres enfants que nous aurons et lorsque ça sera le moment, je lui trouverai un mari… Je sais, il nous faudra dépenser une forte somme, mais cela nous en débarrassera…

Ce soir-là, Judith en eu assez. Elle retourne se coucher en sanglotant. Ces affreuses paroles de ses parents s’imprégnèrent dans sa mémoire. Oui et même si plusieurs années ont passées, lorsqu’elle se rappelle cette discussion, cela lui fait encore aussi mal.

 

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            « Néanmoins, en cette instant », pense-t-elle, en regardant son nourrisson dormant paisiblement. « Je peux comprendre leur ressentiment, même si je ne le partage pas.

De nouvelles larmes apparaissent lorsqu’elle se souvient de la suite.

 

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Le lendemain, sa mère ne l’envoya pas à l’école et son petit lit fut déplacé dans un placard, tout au fond de la maison. Cet endroit était tellement petit que seul un lit entrait dedans où on n’y entreposait que les déchets. À l’intérieur on avait juste envie de vomir, tellement l’odeur nous levait le cœur. Il y faisait tellement noir lorsqu’elle fermait la porte qu’un soir la petite voulu la laisser ouverte mais Francine lui a ordonné de la fermer.

Sa mère lui dit sans émotion, qu’elle ne méritait pas de dormir avec ses frères et sœurs et qu’elle ne devrait plus les considérer comme tel… mais phrase ne fut pas celles-là, mais celles-ci.

            — Et en public et même lorsque nous sommes seules… ne m’appelle pas mère, car maintenant je ne te considère plus comme ma fille, mais comme une petite bâtarde que j’ai recueilli à la mort de sa mère. Et tu ne m’adresseras la parole que si je te le permets. Maintenant va nettoyer l’écurie et ne pleure pas, tu ne m’attendriras pas.

Judith ne dit rien, car elle comprit, que même si elle essayait d’arranger les choses, rien de ce qu’elle pourrait dire ne la ferait changer d’idée. Elle tourna le dos et commença à marcher lentement vers la petite grange, qui devint un refuge pour elle.

Les mois et même les années n’arrangèrent pas son cas. Ses frères et sœurs la traitaient comme une servante et l’humiliaient toutes les fois qu’ils le pouvaient, même à l’église, lorsqu’on lui permettait d’y aller. Elle ne devait pas s’assoir avec eux. Elle allait dans le dernier banc, tout au fond et elle ne pouvait pas faire la communion.

À 14 ans, lorsqu’un voyageur de commerce passa à leur maison, mes parents eurent l’opportunité de se débarrasser enfin de Judith. Ils offrirent une dote tellement faramineuse que ce vieux voyageur ne put décliner cette offre.

Judith était dans la pièce, lorsque Frank dit à cet homme qu’il pouvait faire d’elle ce qu’il voulait. Qu’il ne voulait plus la voir.

Ces paroles prononcées par celui qui fut jadis son père, firent entrer, encore une fois, une lame bien acérée dans son petit cœur, mais elle n’en avait eu tellement qu’aucune larme ne sorti.

 

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            « J’ai eu la chance de tomber sur un homme de principe, du moins pour le mariage… Je sais très bien, que cet homme l’a fait, car à son âge et avec ces envies, il n’avait trouvé aucune femme qui lui convienne. Moi, j’étais la petite femme rêvée pour lui. Une petite idiote qui lui donnerait des enfants et pour le reste, il pourrait se débrouillé. Je ne suis pas aussi sotte que vous le pensiez, messieurs et mes dames », pense-t-elle, en tassant les choses.

            — Où est-il? Enfin le voilà, dit-elle, en chuchotant pour ne pas réveiller son enfant.

Sitôt l’a-t-elle en main, qu’elle se lève et s’approche du berceau. Elle s’agenouille près de sa fille et lui dit :

            — Tu ne termineras pas comme moi ma belle petite Moïsette. Je ne les laisserai pas faire, pas cette fois en tout cas et s’il le faut, je partirai… Je ne sais pas comment nous allons survivre, mais je ne te laisserai pas ici, si tout mon calvaire recommence avec toi. Ta grande sœur à hériter son cœur froid de mes parents… et peut-être même de ton père. J’ai vraiment peur, qu’il m’ordonne de me débarrasser de toi. Je sais qu’il me tolérait car je suis la mère de ses enfants… Mais là une retardé sans est trop pour lui… une dans la famille, c’est assez, me dira-t-il. Mais, comme moi, tu n’en es pas une. Tu es seulement un petit peu plus lente que les autres. Si seulement, ce que je tiens dans les mains avait de la valeur…

Judith regarde le petit carnet et se souvient du premier jour où elle l’a eu en main. C’était son moment le plus joyeux depuis bien longtemps.

 

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Le vendredi de chaque semaine, Judith avait la lessive à faire. Souvent les pantalons de travail de son père y étaient. Lorsqu’avant de commencer elle vidait ses poches et souvent elle y trouvait de la monnaie. Pour ne pas alerter, la famille et lui donner encore le surnom de voleuse, elle ne prenait qu’un sou à la fois et dans l’écurie elle s’avait fait une petite cache et grâce à un couteau que sa mère avait jeté car il n’était plus bon, elle avait fait un petit coffre où elle y déposa ses sous.

Un jour, croyant qu’elle en avait assez pour acheter ce qu’elle voulait, elle se rendit en cachette au magasin général. Elle montra ses sous et demanda au propriétaire si elle en avait assez pour acheter le petit carnet et ce livre de l’alphabet. Le caissier, ayant pitié de la petite sauvage, car c’est comme ça qu’on l’appelait, hocha la tête affirmativement. Judith lui donna les sous en souriant et sorti de là pour aussitôt se cacher derrière un charriot, car elle venait d’apercevoir ses frères et sœurs qui sortaient de l’école.

 

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            — Oui ma petite, dit-elle, en ouvrant son petit carnet tout fripé par les années de relecture. J’ai appris seule à écrire et surtout à dessiner. Comme j’aimerais que ce que j’ai fait soit bon… mais comment cela se pourrait lorsque nous sommes seule à apprendre. C’est pourquoi je ne te laisserai jamais seule… si la maitresse ne veut pas de toi… moi je te montrerai et tu feras un mariage d’amour pas comme moi… Et, c’est à toi seule, que je donnerai ce petit carnet, lorsque le temps sera venu. Tu en feras ce que tu veux et moi je ne t’en achèterai pas qu’un seul.

Tout de suite après avoir sécher ses larmes, Judith se couche, en  position fœtale, et s’endort aussitôt.