De Générations en Générations – Chapitre 3

Chapitre 3

 

 

Les jours se ressemblent tous pour la pauvre Judith. Son bébé, comme l’avait dit le docteur, se développait à une lenteur extrême. Un jour, son époux, qui faisait chambre à part depuis qu’elle avait refusée de donner naissance à un nouveau bébé en échange de cet être anormal. Les blessures non cicatrisées de son épouse lui donne de l’audace et elle lui répondit, ce jour là, sur le même ton que lui, ce qui n’arrange pas les choses.

            — Ce petit être anormal est votre enfant et Moïsette n’est pas un monstre, comme tous le pensent. Elle apprend tout simplement plus lentement et plus tard que ces frères et sœur, tout comme moi, je l’étais au départ.

Tout de suite après les dernières paroles de son épouse, Thymothé se lève de la chaise berçante où il fumait sa pipe. Puis en crachant sa giclé, il réplique d’un ton colérique.

            — Mais, allez-vous comprendre à la fin que je n’en veux pas de cet enfant. Et qu’aucun de nous n’en voulons, rajoute-t-il en pointant du doigt sa trâlée d’enfants. Vos autres filles font vos tâches depuis que vous ne vous occupé que d’elle. Cette petite, comme vous dites, ne nous rapportera rien de bon et je vais devoir, tout comme votre père, qui était sois dit en passant beaucoup plus en moyen que moi, trouver un brave homme qui acceptera de nous en débarrasser. Et comment osez-vous me parler ainsi… Déjà qu’Augustine nous quitte …

Pour ce soir, Judith en avait assez entendu. De toute façon, son époux lui avait ordonné de ce taire. Sans dire un mot de plus, elle retourne dans la chambre la tête basse.

En refermant la porte elle entend un très long soupir et une dernière phrase de Thymothé.

            — Il n’y a rien à faire… votre mère est aussi sotte que cet erreur de la nature…

 Cette phrase brisa le reste d’illusion qu’elle avait de son époux. Lorsqu’il avait fait d’elle une femme, le premier soir du mariage, elle s’était endormie dans ses bras en souhaitant qu’ils apprendre à s’aimer ou tout au moins à se respecter. Ce soir là, elle comprit que jamais ça n’arriverait et une larme coula sur sa joue.

Séchant sa larme en couchant la petite dans son berceau, Judith la regarde et pense à ce que son époux vient de lui dire.

            « C’est la dernière fois qu’il me met dans cet état. Je ne peux rien faire pour les autres, mais pour elle je serai tout ce qu’elle aura besoin. Elle sera maintenant ma raison de vivre. Comme elle est jolie… Je ne suis pas d’accord Monsieur Tremblay, je crois plutôt qu’elle aura l’embarras du choix. Et dans ce sens, je te fais la promesse ma petite beauté, que tout père ne te donnera pas au premier venu, comme ton grand-père la fait pour moi. »

Cependant, une évidence lui saute alors aux yeux et un murmure sort de sa bouche.

            —  Il est vrai toutefois qu’elle est beaucoup trop petite pour son âge… »

Puis, elle s’assoit sur son lit, près de la commode, où, comme chaque soir depuis qu’elle est dans cette maison, elle sort son petit carnet. Elle repasse les pages une après l’autre pour arriver à la dernière feuille libre.

            « Demain, je devrai en ajouter d’autres. Je vais devoir un jour en avoir un nouveau, mais pour ce soir, une me suffit », pense-t-elle en regardant le berceau.

Elle prend la chaise tout au fond de la chambre et s’assoit bien droite au côté de Moïsette et commence à dessiner. Les portraits maintenant elle sait comment les faire et elle s’améliore de jour en jour. Surtout ceux de son enfant adoré.

 

♥♥

 

Les années passèrent et rien ne changea dans la maison sauf le nombre de personnes qui l’habitaient. Il se rétrécissait à chaque fin d’année Il ne restait plus que Thymothé et sa présence se faisait de plus en plus rare. Cela faisait bien des années qu’il ne lui demandait plus de faire son devoir d’épouse. Judith savait depuis des lustres qu’ils allaient voir ses femmes de petites vertus. Au début du mariage, ça lui déplaisait, mais au fil du temps, elle en vient même à les remercier. Et son époux à au moins la décence de ne pas le faire près de chez elle. Cependant, elle ne se fait pas d’illusions, s’il n’était pas voyageur de commerce, il l’aurait fait n’importe où.

Le dimanche, lorsqu’elle allait à l’église seule avec sa fille… tous les regards se tournent vers elle, mais ça ne l’empêche pas d’y aller et de s’assoir à l’arrière… De toute façon elle est habitué, car depuis la menace d’excommunions du curé, car elle ne voulait plus d’enfants, son époux l’oblige à s’assoir derrière lui. Imaginé, le père et les enfants à l’avant et la mère derrière eux comme une moins que rien. Les paroissiens ne lui adressent plus la parole et personne ne la prend en pitié lorsqu’elle revient seule chez elle. Des personnes chuchotant à l’oreille du voisin, elle en a vue et maintenant elle fait comme si elle ne les voyait pas.

Moïsette, moins habitué qu’elle des regards des autres, car Judith avait réussi à la protéger de leurs méchancetés aussi longtemps qu’elle le put, lui demanda avec sa petite voix solennelle, qui la faisait rire à chaque fois.

            — Mère pourquoi les gens nous regardent-ils ainsi ? Est-ce que c’est parce que je ne vais pas à l’école comme les autres enfants ? Ils ne comprendre pas que vous êtes seule et que je dois rester avec vous…

Judith détestait lui mentir et elle eu une boule au cœur de devoir le faire encore une fois. Cependant elle ne pouvait pas lui dire, que la maitresse n’avait pas voulue d’elle, tout comme dans le temps, ce fut son cas. La mère se tourna vers son enfant en affichant son meilleur sourire.

            — Non ma très chère fille, ils ne le comprendront jamais. Comme ils ne comprendraient pas si tu leurs disait que je t’enseigne, donc il faut mieux ne pas leurs en parler.

            — Bien, mère mais de toute façon, personne ne me parle et personne ne vient nous voir. Je n’ai aucun ami, répond la petite en soupirant. Je sais qu’il y a quelque chose qui ne coule pas…

Pour ne pas être amené vers une explication qui la blesserait, Judith s’empresse, comme à chaque fois, de ramener sa fille vers des pensées plus joyeuses.

            — Et bien que fais-tu du docteur? Lui vient nous voir et il s’amuse avec toi. Ne peux-tu pas le considéré comme un ami?

            — Oui, mère si vous voulez, répond Moïsette pour ne pas décevoir sa mère, mais elle savait que le docteur ne le faisant que parce qu’il avait pitié d’elle.

 

♥♥

 

Le quatorze février de la huitième année de Moïsette, tout bascula pour cette petite fille. Cette fête des amoureux qui n’était que réjouissance pour les gens fortunés, en serait une triste pour cette dernières.

Judith se réveille en sursaut en entendant gémir son enfant. Elle court vers son lit et reconnait les signes d’une grave maladie. Sa petite est en sueur et marmonne des choses tout à fait incohérentes. Puis, tout à coup, tout son corps se met à s’agiter dans tout les sens. Sa mère qui ne sait plus quoi faire, prend sa fille dans ces bras en la recouvrant de sa couverture, puis la berce pour essayer de la calmer. Lorsqu’elle pense y être arrivée, elle prend la décision d’aller voir le docteur Maurice, qui l’avait toujours soutenu. Cependant elle est seule maintenant ici et elle n’a pas de moyen de transport.

            — J’irai à pied, dit-elle, en couchant sa petite fille sur le banc d’entrée pour s’habiller chaudement.

Elle prend ensuite deux couvertures de laine pour réchauffer Moïsette. Et ouvrant la porte elle reprend sa fille, qui ne s’est pas réveiller une seule fois et poursuit :

            —Après tout elle est si légère.

Le chemin fut plus ardue qu’elle ne le pensait car il faisait nuit noir et le vent s’était levé et de grande rafale la faisait perdre pied. De plus, soudain, Moïsette eut de nouveau une crise et Judith ne fut plus capable de continuer d’avancer. Elle décide de s’assoir dans la neige en mettant la petite sur ses jambes et de la bercer encore une fois doucement pour la calmer. Cela lui prit plus de temps que la première fois mais la petite se calma enfin. La mère eut du mal à se relever, mais puisant dans ses forces, elle repart  en combattant le vent et la neige. Soudain, elle vit la maison du docteur Maurice. En arrivant sur son balcon, Judith met son enfant sur la balancelle en bois qui se trouvaient depuis toujours sur celui-ci. Ensuite elle tambourine à la porte du docteur en pleurant et hurlant.

            — Docteur… Docteur, je vous en pris ouvrez-moi! Ma petite est malade, gravement malade et je ne sais plus quoi faire. Je vous en pris docteur, aidé moi, hurle-t-elle en continuant de frapper la porte.

Quelques instant plus tard, effectivement le docteur ouvre et dit.

            — Madame Tremblay, que faites-vous dehors par ce froid terrible. Entrez vous réchauffer près du poêle, je vous prépare une tasse de thé…

            — Non… Non, occupez-vous de ma petite d’abord.

            — Oh mon Dieu! répond-il en la prenant dans ses bras.

Le docteur sauva la petite mais il ne réussit pas le même miracle avec la mère car elle avait trop d’engelures et plus aucune force pour lutter. Judith mourut, dans les bras du docteur Maurice, au petit matin du quinzième jour de février, en lui soufflant une dernière requête, qui fit couler quelques larmes sur les joues de ce dernier.