De Générations en Générations – Chapitre 5

Chapitre 5

 

 

Assise dans le train la menant vers la grande ville de Montréal, Moïsette ouvre la lettre et commence à lire à voix haute.

            — « Pauvre petite, si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus de ce monde. Tu comprends maintenant pourquoi, je ne suis plus venu te voir. Si je croyais au mauvais sort, je vous dirais chère Moïsette, que je l’ai déclenché dès que je suis allé la première fois chez vos parents. Et que celui-ci est resté près de moi tout le restant de ma vie. Il y a eu bien-sûr les patients qui me quittaient un à un, et ensuite cette maudite maladie qui m’enlevait, jours après jours, le peu de force qui me restait. Vous souvenez-vous de ma dernière visite? Pour venir vous voir, j’ai dû prendre deux jours de repos complets. Je voulais vous faire mes adieux en personne, mais vous étiez si contente de me voir que je n’en ai pas eu le courage. Je vous ai laissé croire que je reviendrais le mois suivant. Pardonnez-moi… J’aurais tant voulu en faire plus, mais la vie en a décidé autrement. »

La jeune femme pose la lettre sur ses jambes, pour prendre un mouchoir. Elle essuie aussitôt les larmes qui lui obstruent les yeux et l’empêchait de continuer sa lecture. Elle reprit les feuilles mais, cette fois, elle ne put que la lire en silence, tellement elle était encore émotive.

« Dites-vous que je ne regrette rien… Je savais et j’espérais qu’à vos 18 ans, vous me rechercheriez et je voulais vous accueillir à bras ouvert… mais le sort en a décidé autrement et les années m’ont confirmées que je ne pourrais pas nous offrir ce petit bonheur d’enfin vous donner un foyer, notre foyer…Vous auriez fait de moi le plus heureux des hommes si vous aviez accepté de me donner votre main. Nous aurions quitté cet endroit et nous aurions bâti ailleurs notre propre famille. Je vous aurais fait oublier votre début de vie en vous protégeant et en vous aimant. Maintenant, je vous écris cette lettre pour vous dire que vous devrez bâtir seule votre bonheur. Je suis certain qu’il y a un homme quelque part ailleurs qui vous attends et qui sera capable de vous aimer tel que vous êtes, mais vous ne le trouverez pas dans cette ville. J’espère sincèrement que vous avez écouté la gentille dame qui vous a accueilli chez moi et que vous êtes dans le train vous menant vers votre destiné.

Avant-dernière chose puis je terminerai cette lettre… Votre maladie, ne fait pas de vous une femme à part, mais il vous faudra écouter votre corps pour que cela ne le devienne pas. Je m’explique : vos crises, j’en suis certain, vous les sentez arrivées. Alors, lorsque vous votre corps vous donne le signal, il faudra vous trouver un endroit isolé comme un placard, une cuisine… un endroit où vous allez pouvoir vous allonger. Encore mieux, si vous le pouvez, aller dans un coin de repos. Et vous devrez avoir en tout temps, un objet essentiel. Il vous faudra trainer sur vous un petit bout de bois, que vous placerez entre vos dents, aussitôt que vous serez allongée. Je sais, ce n’est pas habituel, mais au fil des années, je me suis aperçus qu’il était dangereux, vu la force de vos crises, de vous mordre la langue. Invitez le plus possible des zones de stress. Je n’en suis pas certain, mais ça peut favoriser une crise… Je vous laisse tout l’argent que j’ai pu accumuler avant ma maladie. Elle aurait été pour vous de toute façon. Si vous en faite bonne usage, vous en aurez assez pour vivre le temps de trouver un mari adéquat.

Dernière chose pour vous sentir comme les autres femmes… Ne doutez jamais de vous. Il faut croire que tout est possible et que nous avons tous une raison d’être sur terre. Vous mère et moi avons cru en vous et vous devrez faire de même. Justement, en terminant, je vous parle d’elle, de la femme merveille et aimante qu’elle était.

            Hum… Votre mère… Oui! Votre mère était douce et aimante pour tous ces enfants, mais il y avait quelque chose de différent avec vous. Peut-être le fait que vous êtes née  lors d’une tempête seule avec vos frères et sœurs et que votre sœur ainée vous a détesté en voyant votre mère souffrir… Je n’en sais rien… Mais dès votre premier cri votre mère vous a protéger du mieux qu’elle le pouvait. Lors de ma première visite, je me suis tout de suite aperçu que quelque chose n’allait pas. Votre mère ne m’a pas fait entrer dans votre demeure, mais dans la petite cabane au fond de votre terrain. Je m’aperçu vite ce jour là, que vous auriez besoin de plus de soin que les autres et je m’inquiétai immédiatement pour votre avenir et celui de votre mère. Elle était en total désarroi et elle n’avait personne pour être de son bord. Un jour, je lui ai même demandé de vous garder chez moi, toutefois en ne vous adoptant pas, votre mère pourrait venir s’occuper de vous à la maison. Cependant, ce n’était pas connaitre cette merveilleuse femme. Elle a évidemment décliné l’offre, en me demandant toutefois de venir vous voir lorsque je le pourrais. « Déjà », m’a-t-elle dit ce jour là,  « toute votre maisonnée est contre moi. Si je fais cela, mon mari me mettra à la porte et je n’aurai d’autre choix que de quitter cette ville. » Malheureusement, je ne pouvais lui dire que je l’accueillerais à bras ouvert, car ça ne se faisait pas et j’avais alors de nombreux patients qui me tenaient à cœur et je savais que je ne pourrais rester ici, si je lui faisais cette demande. Alors, pardonnez-moi, car je vous ai laissé tomber. Je lui ai dis que je viendrais vous voir aussi souvent que je le pouvais, mais bien vite, je fus débordé… Il m’aurait fallu plus de vingt quatre heures pour pouvoir arriver à tout faire. Les huit années suivant votre naissance furent malheureusement les plus mortel… Tant de nourrissons et de femmes en couches sont morts et par ce coup du sort votre mère a dû lutter seule… Les paroissiens, le mari, vos frères et sœurs, tous étaient contre elle durant ces longues années. Les enfants quittaient la maison un après l’autre et votre père revenait chez lui que lorsqu’il ne pouvait faire autrement. Et durant ce temps, il ne faisait que la rendre fautive. Le plus souvent, il lui disait que c’était de sa faute si tous ces autres enfants avaient quittés le nid familial sans avoir l’âge de le faire. Mais rassurez-vous, ce n’était ni de votre faute, ni celle de votre mère, car votre différence d’âge entre le tout dernier né et vous était de huit longues années. Elle m’a dit avoir perdu au moins cinq enfants avant de vous avoir… c’est peut-être pour ça, en réalité, que la rage de votre famille envers vous naquit… Encore une fois, ce n’est que mon avis.  Et là arriva la nuit fatidique où elle est morte pour vous sauver. Et vous savez ce qui c’est passé, je vous l’ai raconté à presque chacune de mes visites… »

Lentement les feuilles glissent par terre et les yeux larmoyants de Moïsette se ferment. Un homme qui passait par là ramassa la lettre et la mis à coté de la jeune femme qui dormait.

 

♥♥

 

En sursautant, Moïsette se réveille avec le sifflet annonçant l’arrivée à la gare. Elle regarda de droite à gauche surprise de s’être endormis, mais il faut dire que cela faisait plusieurs heures qu’elle était debout. Elle ramasse ses affaires et son bagage et s’apprête à sortir du train lorsqu’une pensée positive survient.

            « Avec tous le stress des dernières heures, je n’ai pas eu de crise. Peut-être le docteur à raison… le fait d’être dans ce train en sécurité m’a épargné cette fois. Respire maintenant, il te reste à trouver où te loger, mais avant je vais aller sur ce banc pour finir la lettre. »

Bien assise, la jeune femme reprend la dernière page de la lettre et continue sa lecture.

            « Votre mère vous a aimé jusqu’à son dernier souffre. Les carnets que les sœurs vous ont remis, je l’espère, lui appartenait. Lorsque vous serez en sécurité, regardez-les. Vous allez voir que votre mère dessinait admirablement et les poèmes qui s’y retrouve son merveilleusement bien écrit. J’avoue en avoir lu quelque uns. Votre mère a dû apprendre seule l’écriture, mais vous, ais-je entendu, avez un réel don pour la langue française. Je vous lance une idée dont je voulais vous parler de vive voix, mais je vais le faire par l’entremise de cette lettre. Peut-être pourriez-vous écrire des histoires avec les dessins de votre mère et y ajouter à quelque part dans vos textes ses poèmes qui en feront rêver plus qu’un lecteur. Cependant, si vous le faites… ne signer pas de votre vrai nom… Prenez un nom de plume masculin, car le féminin ne passerait pas. Ce n’est qu’une suggestion, vous êtes libre maintenant de faire ce qui vous plaira. Je vous laisse maintenant car je suis épuisé. Bonne chance belle Moïsette. Vous avez tout pour réussir votre vie.

Votre Bienfaiteur Maurice. »

La jeune femme place la lettre dans son bagage et dit en se levant.

            — Oui, pour vous deux, je ne me laisserai pas abattre. Je vais devenir quelqu’un et vous deux serez fières de moi.